Dre Caroline Ouellet: des soins de fin de vie sous le signe du bien-être

La médecine: un accompagnement vers la guérison et vers le décès

Rapidement après le début de sa pratique, Caroline réalise que son rôle médical est plus vaste que de simplement mener ses patients vers le meilleur rétablissement possible.

«Le rôle et le devoir d’un médecin, c’est d’aider son patient ou sa patiente à guérir, mais aussi de l’aider à bien mourir lorsqu’on n’a plus le pouvoir de guérir. La médecine a une limite et en aura toujours une. C’est mon devoir de médecin de prendre un pas de recul et d’analyser la situation avec ce qu’on connaît de la science pour prendre des décisions humaines. Avec l’équipe médicale, c’est à moi de dire “je pense qu’on est rendu à l’étape de revoir les objectifs, et plutôt que de souhaiter ardemment une guérison, on va espérer ardemment un bien-être”.»

Aux premières lignes, elle porte secours, sauve des vies et soigne des malades, mais apprend également à accompagner les mourants vers la mort en promulguant des soins de bien-être, une formulation qu’elle préfère aux soins de confort. «Tout comme nous avons créé l’appellation «soins palliactifs» Aux trois sentiers, plutôt que d’utiliser «soins palliatifs», parce que c’est tout sauf un arrêt de soins!»

L’arrivée de l’aide médicale à mourir

En 2015, lors de l’adoption de la  Loi concernant les soins de fin de vie et l’arrivée de l’aide médicale à mourir, l’anesthésiologiste se sent tout de suite interpellée. «Aux soins intensifs, l’accompagnement lors de la fin de vie était déjà hyper important et j’ai décidé de mettre mon bagage à profit pour les patients et patientes qui font le choix de ne pas agoniser.»

Après la gestion de crise aux soins intensifs, Caroline découvre un tout autre rythme et un nouveau discours d’accompagnement. «J’ai reçu plusieurs magnifiques histoires de patients et patientes, de familles et de proches. Mais j’ai commencé à penser que quelque chose ne fonctionnait pas avec la trajectoire de l’aide médicale à mourir en milieu hospitalier. Souvent, les gens en fin de vie souhaiteraient mourir à la maison. Est-ce vraiment nécessaire que ça ait lieu à l’hôpital? Est-ce vraiment nécessaire de faire tous ces aller-retour pour les examens et les rencontres avec le ou la médecin? D’autant plus que la coordination entre l’équipe traitante du patient et l’équipe responsable des évaluations pour l’aide médicale à mourir n’est pas toujours optimale, ce qui peut entraîner un manque de fluidité dans le continuum des soins. »

Si elle perçoit des améliorations évidentes à apporter au système, c’est un événement de  sa vie personnelle, à la rencontre de ses préoccupations professionnelles, qui la propulse dans l’action.

Accompagner son père dans la souffrance

En 2018, le père de Caroline tombe malade. Un cancer abdominal agressif. En 2019, il est hospitalisé pour vivre ses derniers moments. «Il était clair pour lui qu’il ne recevrait pas l’aide médicale à mourir. Mais il ne voulait surtout pas agoniser.» Malheureusement, les choses ne se passent pas comme prévu et la souffrance qu’endure son père sur son lit d’hôpital, pendant trois jours et trois nuits, laisse sa fille traumatisée et envahie de colère.

«Cette longue agonie a heurté la fille, mais aussi l’anesthésiologiste intensiviste habituée à faire des sédations et des soins intraveineux. Je ne comprenais pas, j’étais fâchée. Ce qui m’a le plus choquée, c’était d’avoir la profonde conviction de faire infiniment mieux pour de purs étrangers, alors que je n’ai rien pu faire pour mon propre père.»

Après un mois de deuil alimenté de colère, la médecin décide de faire œuvre utile à partir de son expérience. De transformer la rancœur en quelque chose de constructif et faire place à la paix.

«J’ai choisi de canaliser mes énergies en mettant mes connaissances médicales et mon expérience au service des malades en fin de vie.» Résultat: la création d’un OBNL, Aux trois sentiers – Soins palliactifs, visant à développer un continuum de soins de vie personnalisés pour les patients et patientes en fin de vie et leurs proches.

Aux trois sentiers: des soins de fin de vie spécialisés empreints d’humanité

Si la plupart des Québécois et Québécoises souhaitent mourir à domicile, environ 10% y parviennent actuellement. Pourquoi? «Les deux principales raisons sont l’absence de proches aidants et l’épuisement de ceux-ci. En ce moment, si un mourant souhaite recevoir de la médication contre la douleur à la maison, elle doit lui être administrée par un proche aidant. Mais certaines personnes n’ont pas de telles ressources autour d’elles, et ce ne sont pas tous les proches aidants qui sont à l’aise pour le faire. »

C’est bien souvent au moment de l’intensification des symptômes (immobilisation, incontinence, incapacité à se nourrir et à s’hydrater, perte de conscience, délirium, manque de médication, etc.), soit à la toute fin, que les proches aidants appellent l’ambulance pour transporter la personne mourante à l’urgence. «Il manque un maillon dans la structure pour que les gens puissent parvenir à rester à la maison jusqu’à la fin.»

Un maillon que souhaite commencer à construire Caroline et son équipe d’Aux trois sentiers en proposant un accompagnement tant pour le patient en fin de vie que pour ses proches, même lors des heures et des jours défavorables. Aller un peu plus loin avec l’utilisation des médicaments intraveineux soit en gestion de symptômes, soit en sédation palliative intermittente ou continue, en développant l’anesthésie palliative. «On veut offrir un plan de fin de vie. Avec qui voulez-vous être? Dans quel environnement? Avez-vous un choix de soin? On veut offrir des modèles alternatifs à l’hospitalisation et optimiser les ressources du milieu de la santé, en collaboration avec le réseau de la santé. Un lit d’hôpital, c’est fait pour guérir, pas pour mourir.»

Former pour mieux soigner en fin de vie

Adapter les soins à chaque personne en fin de vie demande une expertise particulière. «Il faut une formation et des connaissances spécialisées et ça, actuellement, ça existe peu ou pas. En ce moment, ce n’est pas tout le personnel médical qui a les connaissances nécessaires pour bien orienter la personne mourante. Mais si on ne connaît pas les solutions de rechange à l’aide médicale à mourir, qu’est-ce qu’on offre?»

Pour éviter des situations comme celle que son père a connue, l’anesthésiologiste souhaite offrir un accompagnement particulier aux professionnels de la santé. «Certaines personnes ne sont pas à l’aise avec ça, et c’est vraiment correct! Mais je crois que ceux et celles qui s’intéressent à l’aide médicale à mourir devraient également s’intéresser aux autres moyens d’atténuer la souffrance en fin de vie. Pour amener le plus de douceur possible et que le tout se fasse de façon paisible. En tenant compte de tous les aspects de la réalité du patient, mais aussi de ses proches.»

La beauté dans la fin de vie

Malgré son expérience personnelle, la Dre Caroline Ouellet demeure persuadée que la fin de vie regorge de moments privilégiés habités de beauté. «C’est tellement dense. On se retrouve dans une vulnérabilité incroyable, nos mécanismes de défense se soulèvent et on a accès au cœur de la personne. Je suis une amoureuse de l’être humain et à la fin, il n’y a plus de soignants, de médecins, d’infirmières. Il n’y a plus d’espace-temps. Il n’y a qu’une forme de communion entre êtres humains.»

Et c’est parce que tout le monde passe par ce chemin, peu importe son statut social et son vécu, que la médecin s’investit pour un accès à des soins de fin de vie empreints d’humanité et de sérénité. Parce que tout le monde y a droit.