Plusieurs personnes ont rejoint l’équipe d’Aux trois sentiers après avoir accompagné quelqu’un de proche dans ses derniers instants. C’est le cas de Catherine Bourdages, directrice générale de l’organisme, qui effectue un 180 degrés professionnel après avoir mené sa mère à son dernier repos.
Sa nouvelle mission: contribuer à améliorer les soins de fin de vie au Québec pour que ce que la mort a de plus beau à offrir soit accessible au plus grand nombre possible.
Un diagnostic qui change tout
Catherine travaille depuis six ans chez Énergir, où elle occupe le poste de chef de service – communications et changements organisationnels, lorsqu’elle décide d’effectuer un changement de carrière. Au programme : un nouveau défi professionnel et le désir de démarrer une entreprise avec son amoureux.
Au cours d’une semaine de flottement entre ses deux postes, elle se retrouve en Gaspésie, chez sa mère, entourée de sa famille. C’est là que tout bascule.
«La maison est pleine, alors je dors avec ma mère et je la sens agitée toute la nuit. Au matin, elle me dit qu’elle a mal au bras, qu’elle sent une bosse et me demande de l’amener à l’hôpital. Ma mère est infirmière, elle est en super forme, si elle veut aller à l’hôpital, c’est qu’elle sait que c’est grave.»
Ne faisant ni une ni deux, les deux femmes embarquent dans la voiture, direction l’Hôpital général juif de Montréal à 12h de route. Une fois sur place, la bosse se multiplie de façon exponentielle d’heure en heure. Au terme d’une batterie de tests pour découvrir ce qui se loge dans le corps de la mère de Catherine, le diagnostic tombe: une forme de cancer du sang extrêmement rare, dont la souche est très difficile à localiser. Un traitement expérimental s’amorce.
Pour couronner le tout, une nuit où elle quitte l’hôpital pour se reposer un peu chez elle, Catherine reçoit une autre terrible nouvelle: son père vient de mourir subitement.
Mettre sa vie sur pause pour devenir proche aidante
Heureusement, la gestionnaire s’était désistée du nouveau poste qui l’attendait pour pouvoir subvenir aux besoins de sa mère 24/7, d’abord à l’hôpital, puis chez elle. Ce qui lui permet de concentrer toutes ses énergies à gérer à la fois le décès de son père et la maladie de sa mère. «Cette pause professionnelle, c’est la plus belle chose que la vie m’ait envoyée. J’ai pu être avec ma mère tout au long de sa maladie. »
Si une infirmière du CLSC apporte son soutien une fois par semaine, la mort, malheureusement, ne connaît pas d’horaire. «Le jour du décès, j’ai senti que ça allait se passer, alors j’ai appelé mes sœurs pour qu’elles viennent et j’ai réussi par miracle à rejoindre un médecin que j’avais croisé à l’hôpital et qui a pu me fournir la médication dont j’aurais besoin. »
Se retrouvant avec un sac d’épicerie empli de différents médicaments en seringue à administrer en fonction de divers symptômes, la proche aidante s’improvise soignante. «Chaque fois, tu te demandes si tu fais la bonne chose. Est-ce que ça, ce sont des râlements? On m’a dit de piquer aux deux heures mais elle semble souffrante, est-ce que j’augmente la fréquence?» Avant chaque injection, elle demande le consentement de ses sœurs.
«À un moment donné, ma mère a ouvert les yeux et elle a dit “c’est bon, je suis prête, j’y vais”. Elle a refermé ses yeux, s’est tournée dans son lit et c’était fini. C’était vraiment spécial comme moment.»
Un passage d’une infinie beauté
Cet instant où la vie bascule vers la mort, Catherine en garde un souvenir indélébile. «Autant c’est difficile parce que tu viens de perdre un être cher et que ça crée un vide incroyable, autant tu assistes à l’une des plus belles choses qui soit. C’est comme une naissance, une illumination. Un arrêt de la souffrance. Je ne savais pas que ça pouvait être beau. C’est un immense paradoxe, parce que tu donnes beaucoup pour que la personne soit bien, et en même temps, tu reçois quelque chose d’intangible et d’extrêmement puissant. Autant c’est difficile, autant ça nourrit.»
Il faut dire que Catherine a l’immense bonheur (et chance, pourrait-on dire) d’avoir pu respecter les dernières volontés de sa mère en demeurant à la maison jusqu’à la toute fin. «Je remercie la vie pour ça, c’est mon plus grand baume. Si ma mère avait eu des symptômes plus intenses à la fin, je n’aurais pas su comment faire.»
Le labyrinthe des procédures
La suite s’avère plus laborieuse. Le décès étant survenu en pleine nuit, faire constater le décès est déjà une épreuve en soi. «J’ai téléphoné à un numéro dédié d’Info-Santé, on me demandait des informations que je n’avais pas en main en me disant qu’on ne pourrait pas se déplacer si je ne les fournissais pas. Je devais également trouver un salon funéraire (en pleine nuit!), sinon on ne venait pas constater le décès. Si on m’avait accompagnée cette journée-là, si j’avais su comment ça se passe, j’aurais pu me préparer en conséquence.»
Émergeant des cinq mois consacrés aux soins de sa mère, Catherine se questionne. «Je me suis demandé c’était quoi la prochaine étape pour moi après avoir mis ma vie professionnelle sur pause pour accompagner ma mère. Et le constat était puissant, je ne pouvais pas croire que c’est comme ça qu’on meurt au Québec en 2022. Il fallait faire quelque chose.»
Une rencontre écrite dans le ciel
Un mois après le décès de sa mère, Catherine est déterminée à travailler dans les soins de fin de vie. «Comment? Je n’en avais aucune idée! Je n’étais pas une professionnelle de la santé et je ne travaillais pas dans le réseau. Mais je savais que c’était ce que je voulais faire.»
Elle en parle autour d’elle et une amie commune décide d’organiser une rencontre entre Caroline Ouellet, fondatrice et présidente de l’organisme Aux trois sentiers, et la gestionnaire à la recherche d’un nouveau défi. Dire que le courant passe est un euphémisme. «On a parlé pendant trois heures et deux semaines plus tard, je rencontrais les membres du CA.»
Avec son expertise en gestion et son désir de s’investir dans les soins de fin de vie, Catherine est tout indiquée pour endosser le rôle de directrice générale d’Aux trois sentiers. «Caroline tenait le projet à bout de bras avec le Conseil d’administration depuis le début et ils cherchaient quelqu’un pour réaliser le projet. J’ai eu un réel coup de foudre pour la mission de l’organisme et pour les humains qui le composent. Notre collaboration s’est imposée comme une évidence. Il n’y a pas de hasard… En fait, je ne crois plus au hasard!»